Il y a deux types de peurs gagnantes, celle ludique et celle terrorifiante1. Toutes deux coûtent relativement peu de frais, mais font assurément de l’effet. L’une a pour but de divertir et de faire en sorte qu’on se sente vivant; l’autre, de nous faire mourrir par en dedans, une horreur à la fois, sans qu’il n’y ait un sens apparant…

Pourquoi parler de cela maintenant? Deux choses.

Primo – touchons du virtuel pour repousser le malheur – il n’y a pas eu d’attentats majeurs contre l’occident dans les derniers instants, donc on peut en parler sans se faire taxer de réactionnaire, et froisser plus qu’il ne se doit les sensibilités exarcerbées. Comme la vengeance, il est préférable de parler de terrorisme alors que les cadavres sont froids.

Deuzio, le mois d’octobre étant ce qu’il est, on peut observer que l’horreur peut aussi être normale, voire banale. Pire, ou mieux: on en tire plaisir.

En fait, je désire en discuter pour que l’on puisse s’offrir une réflexion sur cet étrange paradoxe, et par ce que ça me touche personnellement. En fait, je suis impliqué dans les deux…

Commençons par le plaisant.

Quand j’étais plus jeune, l’Halloween était la fête la plus débilo-giga-géniale qui soit. Durant un mois, il y avait une accumulation d’appréhension envers ce jour fatidique où, l’espace d’une orbite lunaire, on pouvait être quelqu’un d’autre et échapper en parti aux codes qui régissent les interactions sociales… et ce, en se bourrant la face de sucreries. Enfant, je rêvais aux récoltes de bonbons qui me dûreraient l’année entière. Tel un écureuil, je les emmagasinais dans le tirroir sous mon lit et pigeais dedans de temps en temps. Plus vieux, j’appréciais particulièrement l’heure extra pour veiller dans les bar, car ça concordait souvent avec le changement d’heure à l’automne. En même temps, j’en profitais pour me faire des costumes hallucinants et repartais avec les honneurs des concours, effrayant les marcheurs inattentifs sur mon passage.

La peur. C’est une sorte de drogue. C’est un déclancheur d’hormones qui nous prépare à l’action, qui nous protège de la douleur et qui nous fait oublier le malheur. La mélancolie n’a pas sa place dans une situation de crise. Une saine peur éloigne les antidépresseurs!

14468651_1797749993806547_2355876319055692876_o

Pourquoi ne pas en faire le commerce? L’Halloween en tire déjà de terrifiants profits. Or voilà que j’embarque dans le bal car, dernièrement, je me suis amusé à développer avec mes amis d’Hérôle et Obsidem, des parcours et des événements où les participants convoitent l’adrénaline issues des sueurs froides. Afin d’extraire ce précieux liquide des glandes peu sollicitées des choyés de cette ère, il faut rivaliser d’ingéniosité pour effrayer sans traumatiser, malmener sans blesser et divertir par l’inconfort consentant.

Voilà une peur gagnante!

C’est aussi une manière de prendre la mesure de ce que veut dire “vivre dans un pays riche”. Malgré que nous n’échappions pas à la pauvreté, nous avons malgré tout le luxe de choisir quand l’horreur frappe à notre porte et le degré de celle-ci.

Malheureusement, sur notre petit vaisseau interstellaire qu’on appelle la terre, l’inégalité règne et bien de nos confrères ne disposent pas de cette latitude salutaire. L’horreur frappe à leur porte sans prévenir et sans date de péremption. Or, un environnement où l’espoir est inacessible, à l’image d’un corps hostile pour une cellule cancéreuse, mène des individus à saboter le système qui leur cause tant de souffrances.

Les terroristes – qu’ils soient issus de la misère primaire d’un pays en guerre; ou secondaire, celle qu’on peut associer à une détresse pscychologique liée au flou de l’existance dans un pays riche – ces terroristes donc, désirent la fin de la misère par la chute du système qui la génère. La meilleure façon qu’ils ont trouvé pour accomplir cela est d’instiller la peur dans le coeur de la populace, un attentat à la fois.

Parfois aveuglés par des idéaux religieux ou nationalistes, sans en être nécessairement conscient, ils travaillent, d’horreur en horreur, à détruire les pilliers du temple capitaliste des sociétés occidentales.

Ça aussi c’t’une peur gagnante, car ça marche!

L’an dernier, j’oeuvrais dans un babel de givre. Un projet extraordinaire qui consistait à modeler de l’eau là où rien ne permettrait de croire cela possible, mais avec nos moyens contemporains, les possibilités incroyables que nous offre notre statut de société prospère, il est possible de faire de la sculpture de glace un peu n’importe où, en autant qu’on ait accès à de l’électricité et un bassin de population intéressable. Ce n’importe où, c’était Liège – un beau n’importe où –, et j’y dirigeais une vingt-cinquaine de sculpteurs de douze nationalités différentes. Nous créions un vaste parcours de sculptures de glace, thématique Star Wars. Magnifique.

Or voilà, l’inauguration avait lieu vendredi le 13 novembre 2015. Les attentats de Paris. Pour en faire une histoire courte, ça a tué l’événement, les gens étant sommés de rester chez soi. Même une fois les mesures d’urgences tombées, la crainte restait. Malgré la distance les séparants du lieu des attentats, et que la plupart des protagonistes furent tués, la peur subsistait.

Puis est survenu Nice et, si vous êtes à l’affût de l’actualité, vous savez qu’il y en a partout, tout le temps. C’est une attaque consciente, ou pas, envers notre société basée sur le profit, sur le capitalisme sauvage, porteur d’inégalités criantes et de misères vertigineuses; mais aussi de confort et de bienfaits. Ce sont de petites actions localement destructrice et fort créatives comparées aux moyens déployés pour les parer. Toujours est-il que ça marche. Le terrorisme gagne. Mon événement de Belgique n’a pas lieu cette année et tous les autres événements du type sont grandement diminués en moyens. La grisaille du repli sur soi, d’une crainte sourde et irrationnelle, a recouvert l’europe.

Il en était de même en amérique, après les attentats de 2001. Les États-Unis se sont fermés sur eux même, le commerce est tombé en léthargie et la population occidentale fut, pendant plusieurs années, en choc post-traumatique. L’économie est repartie de plus belle en mode « déni », refusant de se poser les questions nécessaires à une meilleure gestions des richesses mondiales. Paf! 2008… Les banques en déroute, sauvées par l’état plutôt que rachetées. Encore des décisions qui mènent à plus d’inégalités et qui multiplie les cellules anthropocancéreuses2.

Les gens ont peur. Peur de sortir, peur d’investir, peur de mourir. Pourtant, ça sert à rien, c’est irrationnel de réagir ainsi. Les chances de mourrir par attentat sont infiniment plus minces que par une multitude d’actions que l’on fait à chaque jour et que l’on sait potentiellement mortelles. Pourquoi le terrorisme a-t-il cet impact? Parcequ’il s’attaque à l’imaginaire. Je le sais, c’est le secret de la peur ludique. Ne pas trop définir la menace pour que l’imagination fasse le reste de  la job.

Mais que peut-on faire pour contrer cela? Qu’est-ce qu’on fait à partir de ces constats? Une des conclusions basiques que l’on pourrait faire serait de dire que la meilleure arme contre le terrorisme serait l’indifférence. Comme avec un intimidateur dans une cour d’école. Mais non, ça ne règle pas le dossier, car les intimidateurs de cour d’école n’éclatent pas… mais c’est sûr que de faire une fixation sur l’acte n’aide en rien. Non, en fait, je crois qu’il faut continuer à travailler à une société plus juste, plus égalitaire. C’est moins utopiste que cela puisse sembler. Un exemple? Prendre le temps de bien faire les choses, plutôt que de viser à maximiser les profits. Un autre? Éduquer la population, lui bourrer la face de culture, question de développer son ouverture d’esprit, qu’elle accepte et embrasse les autres façons de voir le monde. En gros, il faut prendre conscience de la portée de nos actions collectives. Risquer de mettre en péril le système – non les gens – afin qu’il puissent évoluer.

La marche est le résultat d’un déséquilibre constant. Point d’avancement sans se mettre en péril.

Avec de tels risques, un courage d’agir, une conscience globale et des actions locales, nous pourrons espérer qu’un jour, plus de gens pourront bénéficier de la peur ludique, et non crier leur mal-être par des actions terrorifiantes … Qui a peur d’essayer?

 

 

1 Terrorifier: action qui terrifie et horrifie. La terreur effraie, saisit; l’horreur – la vraie – la fait durer dans le temps, traumatise, stigmatise.

2 Anthropocancéreuse : qui est un cancer pour l’humanité en tant qu’espèce.