TRAUMAVERTISSEMENT
Ce texte parle de quelqu’un qui a vraiment vécu, qui a aimé et fut aimé. Cette vision que je te partage fut construite sur seulement quelques jours de côtoiement. Ces observations peuvent être considérées comme “justes” ou “injustes”. Je dirais simplement qu’elles sont imparfaites et limitées par les seules facettes auxquelles j’ai été confrontées. Ça pourrait choquer certain.e.s lecteur.trice.s, je préfère t’en avertir.

La brûlure du Destin

 

Alexandre Girard n’est plus.
Il est décédé d’avoir rencontré un autre Alexandre Girard. 

Sans le savoir, encore moins le vouloir,
j’ai servi la Faucheuse.

 

***

 

Je ne connaissais pas tant Alexandre Girard. Je l’avais croisé à l’hôtel de Glace de Québec, début 2020. Coïncidence rigolotte l’espace d’une soirée d’inauguration.

   – Hé Alex! V’là Alex!

   – Salut moi! Moi c’est toi!

Soirée de fête, deux selfies et on passe à un autre appel. 

L’anecdote est ressortie à plus d’une reprise dans l’année qui suivit. Quand j’y pensais, seul, je me demandais quelles étaient les chances que deux homonymes travaillent dans un milieu aussi niché que la sculpture d’eau. 

***

Ce n’était pas le premier Alexandre Girard qui croisait ma route. Y en a plusieurs au Québec. Pour le fun, je viens d’en compter 89 juste sur facebook… en excluant les noms composés! Juste des Alexandre Girard pur jus.

   – Faudrait en éliminer quelques uns.  

C’est ce que je disais avant ce matin fatidique où j’appris la nouvelle. 

Je ne crois pas réutiliser la formule…

Le premier Alex Girard que j’ai rencontré est à l’origine de la graphie actuelle de mon nom: Alex S.Girard. J’effectuais la tournée pour la sortie de mon livre Les Créatures Fantastiques du Québec, tome 2. Au salon du livre de Saguenay, on nous assignait un bénévole pour veiller à notre confort. Le mien se révéla ledit homonyme. Je lui ai proposé de prendre ma place et de signer mes livres comme s’ils étaient sien alors que je m’occuperais de lui servir des bouteilles d’eau bien fraîches.

Il n’a pas voulu. 

Ce Alex différait grandement du Alex qui écrit ces lignes. Il devait avoir 20 ans de moins et ne me ressemblait en rien. Du moins, au premier regard. 

Pas eu de deuxième occasion afin de contrevérifier. 

L’opportunité d’approfondir et de découvrir des points communs, autres que nos noms, ne s’est jamais présentée. C’est rare qu’on ait la chance d’approfondir avec des homonymes. Ils sont de passage, c’est anecdotique et c’est bien ainsi car, il faut se l’avouer, il y a quelque chose de troublant pour l’ego. Vaut mieux en rester là. 

Toujours est-il que cette rencontre m’a amenée à vouloir me trouver un nom d’artiste. L’art demande à ce que l’on soit unique, selon la légende. Ou pour créer sa propre légende, c’est selon.

Faerik? 

Nah, c’est le nom de mon site web, c’pas un nom que j’assumerais si l’on m’interpellait ainsi dans la rue. 

AGIR? 

C’t’un bon nom de bédéiste, mais je n’avais pas encore publié de BD alors, valait mieux trouver un nom qui fitte, malgré que l’Action me sied bien. 

S.?

Sur mon baptistère, on lit “Alexandre Stéphane Girard”. 

Intéressant. 

J’ai juste à ôter la cendre de mon nom – j’t’un gars d’feu – anyway la plupart des gens m’appellent par mon nom court de tout façon. “Alex”, donc. 

Je garde le “S” car il représente bien ma multitude et ce, dans plusieurs aspects de mon existence. En plus l’histoire derrière le S est sympa: mon frère voulait m’appeler Steve Austin; pas le lutteur, l’homme bionique! Une machine toi. Qui vaut 6 millions de dollars en plus. Le Ironman des années 70.  Mes parents ont francisé ça pour Stéphane… 

“Alex S. Girard”

Kin toé!

***

Décembre 2021

Retour à l’Hôtel de glace avec Jack le St-Cômois. Ça faisait longtemps que j’essayais d’amener un artiste talentueux de là-bas à Québec. Les cômiers et les cômières sont tombés dans la sculpture dès leur plus jeune âge, comme Obélix dans la potion. Ils garnissent leur village de glace puisé d’un lac depuis des années. 40 en fait. Un merveilleux festival unissant tous les habitants autour d’un projet créatif. Vraiment inspirant, à tant de niveaux. 

La plupart des sculpteurs là-bas se qualifient d’amateurs, mais plusieurs sont rendus des pros, par expérience, sans l’savoir. 

Ils sont humbles les cômiers.

Jack et moi étions les derniers sculpteurs à arriver sur le chantier de l’Hôtel, édition 2022. Un chalet immense accueillait la plupart des travailleurs de la place, mais justement, il n’y avait plus de place. Nous nous sommes ramassés dans un dortoir avec… Alexandre Girard. 

La légende dit qu’il s’était lui-même “isolé” des autres, mais certains disaient que les habitants du Chalet l’avaient rejeté. C’était pas totalement clair mais, en même temps, suffisait de jaser un peu à mon homonyme pour comprendre que ça convenait à tout le monde.

Alexandre Girard était particulier. Pas une ombre de malice. Plein de bonnes intentions. Il avait peut-être des traits d’autisme car les normes sociales semblaient lui échapper. Il lui semblait plus facile de philosopher intensément autour d’une boîte de St-Hubert en se chauffant la couenne sur le bord d’un foyer dans l’hôtel désert de ValCartier que de chuchoter dans un chalet où tout le monde chillaient tranquille, malgré que sur un relatif party. Notre proximité et notre bonhomie l’amena à nous visiter, Jack et moi, dans la chambre que nous construisions à Hôtel de Glace. Il nous offrait de la pelleter et, parfois, il le faisait vraiment.

Il était plus efficace en paroles qu’en action notre Alex. Bienveillant dans ses intentions, mais flou dans l’action. Je crois simplement qu’il était d’un type aérien qui manquait de racines dans la Réalité.

Pendant les 4 jours que j’ai sculpté à l’Hôtel c’t’année-là, j’ai eu l’temps de poser un deuxième regard sur cet Alexandre Girard. Y a-t-il plus qu’un nom qui nous unisse?

Taille similaire. Lui 40 ans, moi 45. J’avais l’air plus jeune que lui, mais, à ma défense, ma génétique fait qu’on est frappés de grisaille capillaire sur l’tard dans ma famille. Il était bien bâti; moi, bin, euh, j’suis correct, j’imagine. Disons qu’il était plus “cut” que moi. Il faisait de la pelle pas mal plus que moi aussi, ce qui aide à découper le corps. Il était assigné à la construction de l’hôtel, moi à sa sculpture. Lui fonctionnel, moi artistique.

Sur cette photo, Alex est l’un des ouvriers qui travaillent à la structure de l’Hôtel de Glace.

 

Autrement, au niveau intérêts, j’ai fait 10 ans de karaté dans ma jeunesse, lui 15. Moi ceinture noire en Yosékan Budo, lui en Wing Chun et maître en Tai Chi. Il m’a fait quelques moves dans les airs et je fus en mesure d’apprécier sa maîtrise corporelle qui appuyait ses dires.

Une chance qu’il m’a pas demandé de faire la split, je suis aussi souple qu’une planche de 2×4. Mais tous deux savions que les arts martiaux ne nécessitent pas de savoir faire la split.

Il m’a aussi parlé des points que l’on peut voir lorsqu’on ferme les yeux et que l’on presse les paupières fort fort. Lui les avait remarqué les yeux ouverts…

J’aime regarder le monde sous des angles différents, comme lorsqu’on s’accroupit dans une foule, que ce soit en métaphore ou en vrai. Alex regardait le monde différemment, mais je ne sais pas à quel point c’était volontaire, désiré. Je pense que c’était une des rares fois où il rencontrait quelqu’un qui l’écoutait dans ses perceptions du monde sans y voir des délires mais bien une neuroatypie intéressante.

Là s’arrête mon approfondissement de l’homme. Vous en savez maintenant presqu’autant que moi. Une chose frappait cependant: du Alex “pas de S” Girard, fallait en prendre à ‘tite dose car ça consommait de l’énergie. Comme le feu, tu regardes ça de loin, pis si tu t’en approches, c’est par de brefs instants, sinon ça brûle!

 

***

 

janvier 2022

J’apprends qu’Alexandre Girard sera à St-Côme. Je l’apprends par l’imbroglio que sa présence a causé.

   – Oui je cherche un endroit où dormir, je suis une amie d’Alex.

   – Alex Girard?

   – Oui. J’ai travaillé avec lui à l’hôtel de glace.

   – Ah bin kin!  Vient dormir chez nous alors! 

Je vais à St-Côme depuis près de 10 ans maintenant. J’ai des amis là-bas. Mon hôte est du genre généreux. “Tes amis sont mes amis!” 

Mais c’t’amie là, j’la connaissais pas. C’est Em, l’amie d’Alex. Pis moi j’ai averti personne qu’il y aurait un 2e Alex: je ne savais même pas qu’il viendrait! Jack leur a si bien vendu son village qu’ils ont répondus à l’appel.

D’ailleurs, c’t’une bonne chose que de passer par St-Côme pour apprendre à sculpter la glace. Je peux t’accompagner et la municipalité offre un gros bloc de glace à qui veut s’impliquer. 

Donc Alex et Em sont venus à St-Côme pour apprendre. Tous deux travaillaient à l’Hôtel de Glace, mais plus en tant que manœuvres que sculpteurs. St-Côme leur offrait la possibilité de se pratiquer pour améliorer leur position l’an prochain, quoi. Ils se sont pris deux semaines de congés et un appart à Ste-Émilie pour s’adonner bénévolement à la création de leurs œuvres. 

Moi, je donnais des ateliers de sculpture à la fin de leur première semaine à St-Côme. 

 

En attendant, Alex a aidé les équipes de montage à disposer les monuments à travers le village. En moins d’une semaine, il a brûlé la majorité de ses collègues. Personne ne pouvait supporter sa présence tant il était intense.  Pas même Jack qui lui avait si bien vendu l’idée de St-Côme en glace qu’Alex avait choisi de s’investir deux semaines à ses frais. Personne ne savait ce qu’impliquait l’omniprésence d’Alex. 

Il m’a écrit pour que je l’aide avec sa sculpture, ça le stressait. J’allais là-bas pour enseigner à un groupe de gens, alors je l’ai invité à se joindre à nous. Ce fut une bonne décision. Il était doux, à l’écoute, avenant. Il a appris comment utiliser les outils et jouer avec la matière sans m’accaparer. 

J’aime enseigner. J’aime bonifier le potentiel des gens, les voir gagner en assurance au fil du temps et des expériences partagées. 

Alex a trippé, mais quand il a voulu reproduire sa sculpture en version réduite, ça s’est pas bien passé. Plusieurs morceaux se sont cassés.  Malgré tout, il s’est adapté et a choisi de sculpter… un E.T. Il l’a bien réussi car les gens le reconnaissait comme tel, malgré qu’il y avait quand même plusieurs différences entre le vrai et son interprétation. 

Anecdote intrigante: dans sa sculpture, il y avait un poisson, un vrai, figé dans la glace. Comment avait-il abouti là?  J’avais jamais vu ça…

Le dimanche, je suis allé dîner avec lui et Em à Ste-Émilie. Un spagatte “gratiné” au four micro-onde. J’ai pas relevé le fait que “gratiné” impliquait un four à broil. Il se sentait déjà assez mal pour sa sauce à spagatte: il aurait aimé avoir plus d’épices afin que sa sauce soit à la hauteur de ses attentes. À la hauteur de ce qu’il croyait que mes papilles méritaient. 

C’tait un idéaliste.

Ce genre d’individu éternellement insatisfait de ce qu’il t’offrait. “Ç’aurait dû être mieux.” semblait être souvent à l’arrière de ses pensées.

 

***

 

5 février 2022

Me voici de retour à St-Côme après un séjour chez moi, puis à Shawinigan pour des contrats de sculpture de glace. J’avais encore des ateliers à donner. Et de la glace à brûler.

Oui oui. 

L’an prochain, j’vais faire une sculpture en glace puis y sacrer l’feu. Bam! 

Mais avant de passer à l’action, fallait faire des tests.

J’ai préparé deux blocs de glace pour essayer plein de possibilités. Des coupoles, des réceptacles en forme d’escalier, des p‘tits et des moyens trous. Des dessus d’ailes pis des dessours d’ailes. Em et Alex sont venus m’aider. Nice. Mais en même temps, fallait s’assurer qu’Alex prenne pas d’initiatives non sollicitées. J’avais remarqué sa tendance à prendre les devant d’une tâche qu’il croyait avoir saisie sans s’assurer que c’était réellement le cas. Particulièrement s’il était éméché.

Mais le comportement singulier de mon homonyme rendait cela difficile de savoir s’il était éméché ou pas. 

En décembre, à l’Hôtel de glace, Jack et moi avions vécu de quoi d’weird avec Alex alors que nous venions de terminer notre marathon de sculpture. Nous étions heureux de l’effort accompli. J’étais fier de Jack pour son premier contrat hors St-Côme et on en était rendu aux selfies de la victoire. Des employés de l’Hôtel entrèrent dans notre chambre, passablement éméchés. C’tait un soir de fête généralisé: le lendemain, la plupart retournaient chez eux pour Noël. Alex est entré par une autre porte, heureux comme un enfant, mais il s’est fait accueillir par l’un des boyz, ivre d’autorité, qui s’est mis à le réprimander sur le fait qu’il n’avait pas d’casque de sécurité. L’obstinade qui s’en est suivi nous a laissé les sourcils pognés dans l’front tant ça contrastait avec l’ambiance de fête, l’instant d’avant. On a fini par les kicker dehors de notre chambre pour qu’ils continuent à se répéter les mêmes arguments dans l’couloir, comme deux dudes qui devraient s’taper su’a yeule, mais qui n’en avaient pas vraiment envie. C’était surréel. On était sûrs qu’Alex était pété, mais finalement pas pantoute…

Ainsi, il était dur de savoir si notre homme était éméché ou pas. 

Le samedi matin, dernier jour de vie d’Alex, il m’a semblé éméché, mais pas de boisson.  J’arrivais au BAT, le sympathique acronyme du Bureau d’Accueil Touristique de St-Côme, pour y donner mes ateliers avec le légal dix minutes de retard St-Cômois. Il y avait déjà quelques élèves sur place, dont deux couples de boomeurs tannants mais trop contents de pouvoir créer un Olaf de glace agrémenté de mes conseils. Pour ces ateliers, je devais ramasser plusieurs outils à la quincaillerie, point névralgique du village. Parmi ceux-ci, une chainsaw à longue lame que je vois dans les mains d’Alex.

   – Pars-moi donc ma chainsaw.

Pas de “sivouplè”, presqu’un ordre. Il avait l’air absent, les traits tirés. Je comprends que sa scie à chaîne ne veut pas partir. J’haïs crinquer les chainsaws le matin. Surtout quand elles veulent pas partir. Et, la sienne, ne voulait rdjien savoir. Celle que j’ai amené de la quincaillerie? Elle ronronnait fastoche. Avant que je réalise ce que ça implique, il est parti avec en me laissant sa scie défectueuse. J’étais pas content. Fallait que j’délaisse mes étudiants et que j’retourne à la quincaillerie pour m’en pogner une autre. 

Il était aérien d’même parfois. Il flottait porté par le vent chaud du feu qui brûlait dans ses entrailles. Ce feu, c’était le stress. Une semaine à ne pas dormir, à être obsédé par sa sculpture. 

Il s’était donné un bon défi sur un montage énorme et potentiellement dangereux. 

Des tonnes de glace qui peuvent te tomber d’sus si tu donnes un mauvais coup de chainsaw, ça peut te tendre un brin, mettons.

Il avait trouvé cent façons de pas réussir un espèce de collage qui pourrait ressembler à des pattes d’une araignée sur le dos. Il relativisait en m’offrant des métaphores d’art martiaux. J’avais l’impression qu’il gérait bien son affaire, malgré que je sentais qu’il souhaitait que je délaisse mes étudiants pour aller l’aider sur son monument. Mais c’tait pas ça l’deal, pis en plus, y v’nait de faire une rudesse, faque, “arrange toé l’gros”.

 

***

 

16h00

Ateliers terminés, mon amoureuse vient de s’pointer ainsi qu’une couple de potes de la région. Ce soir c’est fête!  On va sacrer l’feu sur de la glace pis, après, on s’fait un festival de la pizza au propane dans un shack où il fait -5 en d’dans alors que dehors il fait -10.

Tous les bénévoles du festival se retrouvent pour une bière et jaser sculpture dans une ambiance de fête unique à ce village mythique des confins launaudois. Je les délaisse pour mettre une touche finale à mes blocs de glaces avant de leur mettre le feu.

Quand tout est prêt, j’entre dans la quincaillerie pour ramasser l’éthanol destiné à nos expérimentations. J’y croise Alex. Je suis d’un naturel sympathique, mais je suis aussi – comme ma devise le dit – un homme d’action. Quand j’ai une idée derrière la tête, une tâche à accomplir, j’aime pas l’interférence. Il vient à ma rencontre, je parle de détails techniques et, sans crier gare, il me fait une passe de karaté qui, si j’avais eu la jambe droite, m’aurait déboîté le genou. 

   – Voyons donc, criss, c’est dangereux c’que tu viens de faire!

Il se confond en excuses. Je sais qu’il ne désirait pas me faire mal. Il voyait ça commeun geste de connivence entre deux art martialleux. Pas l’temps, mal maîtrisé, j’ai pas l’goût des conseils qui m’donne sans qu’ils soient sollicités.

Plein de choses se passent dans ma tête en même temps. J’ai mes tâches à faire, je comprends qu’il veut se rattrapper en m’bombardant de conseils, d’autres personnes me parlent en même temps…

   – C’tu prêt?

   – As-tu besoin d’aide?

   – Go on y va!

Pas l’temps de s’attarder à parler d’avantage et la foule se dirige vers les blocs sacrificiels. On laisse les malaises derrière. On aura bin l’temps d’en rejaser plus tard…

 

18h00

Nous voici devant les blocs. Une petite foule est là.  Alex aussi. 

On commence par allumer l’un et l’autre des blocs. Essaye avec un truc pis un autre… ça marche pas… oh, ça marche! 

   – Ajoute du gaz!

L’un sort le gaz, l’autre sa torche. 

WOUF!

Superbe spectacle paradoxal que de voir l’eau prendre feu. Les flammes illuminent la nuit au travers un mur de glace, déformé par les traits sculptés, magique.

 

30 minutes avant sa mort… Anecdote: just’avant de sacrer l’feu au bloc, j’ai demandé à un ami de couper le quart de cercle dans le bloc de glace qui nous permet de voir la face d’Alex. C’est la dernière photo où l’on voit Alex vivant. Photo: Christian Lefebvre

 

Les téléphones sont pointés vers le spectacle, sauf celui d’Alex, qui semble l’absorber. Il s’approche dangereusement d’un bloc où coule l’essence en rigoles au fur à mesure que la chaleur unit les réceptacles de glace. 

   – ‘Tention!

Plusieurs voix émergent de la foule pour avertir l’inattentif. 

Je le tasse de là. La foule l’avale dans l’obscurité.

C’était la dernière fois que je le voyais.

 

19h00

Alors que l’assemblée de curieux s’estompaient afin de vaquer à leur restant de samedi, personne s’est soucié du départ de l’homme qui s’était approché dangereusement de la flamme. 

Parallèlement, Alex filait à vive allure vers son appart vide et froid, situé dans le village voisin. Il ne s’était pas attaché. Dans le village, on se déplace à très basse vitesse sur de courtes distances puisque tout est près et qu’il n’est pas rare que nous ayons des arrêts fréquents à faire. Mais la route inter village est autre. 

Il s’est trop approché de la flamme. Personne ne pu l’empêcher de franchir la double ligne qui sépare la vie de la mort.

Il est entré de plein fouet en collision avec la voiture à contresens. Un troisième véhicule n’a pu éviter la collision.

Il est mort sur le coup.

Probablement au moment où je rejoignais mes amis dans un petit chalet tranquille comme la mort, où nous serions heureux, nous délectant d’une pizza faite avec amour par des amis précieux.

 

***

 

Je ne sais trop pourquoi j’écris ce texte. 

Une sorte d’hommage et de compte rendu d’une rencontre singulière. Comme si je me pinçais pour vérifier que je n’ai pas rêvé tout ça.

Le passage d’Alex dans ma vie fut comme un météore enflammant le firmament d’une saison de mon existence. Fascinant, destructeur – plus pour lui que pour moi – j’en resterai marqué à jamais. 

La sculpture d’Alex, le lendemain de sa mort.

 

Je crois que les réflexions que je me faisais sur l’ego, sur la signification d’un nom que l’on porte, sur les similitudes ou l’absence de ces dernières entre deux êtres m’amenèrent à m’attacher à Alex. Malgré sa complexité, je voyais sa bienveillance, son désir constant de s’améliorer et de se mettre – positivement – en danger pour évoluer. Malgré tout, je ne le connaissais pas vraiment. Je sais qu’il avait deux enfants et une conjointe. Je suis triste pour eux. Je ne connaissais pas vraiment la relation qu’il entretenait avec eux. Il les aimait, il en parlait avec affection, tout en semblant loin d’eux. Il voulait leur offrir de mes bouquins. Je leur acheminerai des copies. Des livres d’Alex Girard… ça va sûrement leur sembler bizarre. 

Tout est bizarre dans cette histoire.

Le lendemain de l’incident, le festival a annoncé la mort d’un sculpteur de glace nommé Alexandre Girard… tu peux t’imaginer que mon cell a vibré rienque su’un temps.

Au début de ce texte, j’ai dit que j’ai été l’instrument de la faucheuse. Ne te méprend pas: je ne me sens pas coupable de sa mort. Factuellement, cependant, s’il ne m’avait pas rencontré, si on ne lui avait pas vanté les mérites de St-Côme pour apprendre à sculpter, il ne serait jamais venu, n’aurait pas été stressé par son œuvre au point de ne plus en dormir la nuit, n’aurait peut-être pas usé d’altérants pour se relaxer, n’aurait pas appris à se promener en voiture sans être attaché et n’aurait ultimement pas pris la route vers la Mort. 

Simple raisonnement mathématique. Réaliser l’impact d’une rencontre sur l’existence d’autrui. 

Je me considère une personne sensible. Le lendemain, après avoir appris la nouvelle, une des choses qui me frappait l’plus, c’est de n’avoir rien “senti” de la mort d’Alex. Je sais pas, je me serais p’t’être attendu naïvement à ressentir de quoi dans l’fond de l’air. Mais non. Rien. Même à l’affût, rien ne garantit que l’on perçoive les soubresauts d’une vie qui s’éteint.

Comme une flamme qui brûle sur de l’eau.

 

Photo: Christian Lefebvre

Mise à jour, 15 février 2022

Ce texte est une interprétation d’événements de mon point de vue. Depuis sa publication, j’ai eu des retours, dont un de la femme qui était dans la voiture du face à face…  

Il y a tant de façon d’aborder une histoire.  

Pour elle, Alexandre a changé sa vie à tout jamais. Au moment où l’on se parle, elle ne peut plus marcher à cause d’une fracture du bassin et elle craint pour la vie de son enfant à naître, étant enceinte de 15 semaines au moment de l’impact…

Ça a créé bien des tourments c’t’affaire là.

Malgré tout, elle a “apprécié” en savoir davantage sur Alexandre, connaître un peu plus qui il était sans pour autant que mon portrait en soit un bon, couvrant l’entièreté du personnage.

J’ai aussi eu des retours de gens désirant que je retire ce texte car il pourrait causer préjudice à ceux qui l’ont aimé, dont ses enfants. Je pense que ce texte est pertinent et qu’il ne doit pas être pris comme une homélie funéraire. C’est une expérience vue au travers les yeux d’un artiste. J’aurais pu en faire une sculpture, mais c’t’un texte qui est sorti. 

Une fois écrit, il ne m’appartient plus. J’en suis responsable, mais ce que tu en fais, comment tu l’interprètes, je n’y peux rien.

Mon objectif? Écrire pour me souvenir. Pour le plaisir d’écrire, de décrire des événements remplis d’intensité. Pour partager la weirdness de cet événement.

Et rappeler que conduire peut tuer, changer des vies: sois responsable bout d’crisse! 

Voilà.

Je t’aime, toi qui a lu jusqu’ici.

Et je t’aime, Alexandre Girard! Repose en paix.