Ce texte portant sur Michel Brûlé a été écrit le 28 mai 2020, au début de la pandémie, avant que le verdict tombe dans son procès pour agression sexuelle. Je vous laisse lire ça, puis j’ajouterai des réflexions nouvelles à lueur de son décès, en épilogue.

 

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Je viens de raccrocher avec un éditeur déchu, déchéant.

Ça devait être la trois-quatrième fois qu’il m’appelait à deux heures du matin, sans s’annoncer, encore moins me prévenir du sujet. J’avais d’autres chats à fouetter que de répondre à cet être humain pathétique et malaisant, mais pas ce soir-là… 

“Allo?”

C’était vraiment intense. Un flot incohérent de fiel grumeleux. 

Après digestion, j’ai réussi à identifier certaines récurrences dans son enchevêtrement de propos délirants. Sa dernière phrase tournait en boucle dans ma tête.

La discussion s’est terminée par:

“Tu vas voir, je vais en tuer plein de monde” 

… comme l’ont dit “Salut là, on s’rappelle!”.

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(je dois debrieffer un peu)

Je connais Michel car il m’a édité par le passé. Pas un chum, ni un ami, une étrange connaissance tout au plus. Je crois qu’il m’appréciait car je l’écoutais sans jugement apparent. Et probablement parce que, selon lui, nous avions un ennemi commun…

Pendant la pandémie, il a tenté de me rejoindre à des heures pas possibles. J’ai cru comprendre qu’il quittait Montréal pour Minsk, en Biélorussie. 

“Pas de confinement là-bas [et je pourrai y fourrer toutes les putes que je veux].
Je m’en calisse.”

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Donc je viens de raccrocher avec un éditeur déchu et déchéant. Il s’est effectivement rendu à Minsk: j’ai vérifié après son appel. Je voulais savoir si son délire était réel ou s’il me parlait d’un sous-sol obscur où les scélérats se réfugient pour mourir dans la honte d’une gloire fanée.

Il sortait de trois jours de prison où il s’était pissé dessus puis s’était fait battre. Pour récompenser son geôlier, il a chié par terre; ce qui lui a valu de se faire battre à nouveau… puis l’a mené à finir dans un asile biélorusse pour une durée indéterminée. 

À chacun son confinement.

Il était sept heure du mat là-bas et il était high as fuck, de boisson et d’adrénaline; je crois pas qu’il prenne aut’chose. Il parlait de temps à autre à une femme dans le background – en russe – comme pour lui dire de s’calmer les nerfs.

En gros, le sujet principal de sa discussion tournait autour de son éminent statut de milliardaire… Il était sur le point de devenir le roi des médias du Québec, puisqu’il achèterait Québécor et il me nommerait ensuite “ministres des ARTS PLASTIQUES”.  

Ce qui implique qu’il aurait le pouvoir de le faire… si tu m’suis bien. 

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Ce discours, déjà déstabilisant par son propos, était entrecoupé d’histoires parallèles aliénantes.

“Je veux tuer des policiers. 200 au moins!”

J’pense qu’il était fâché qu’on ait brimé son désir de déconfinement…

Il disait “j’m’en câlisse” pour ponctuer ses chapitres délirants.

Comme lorsqu’il parlait de sa rencontre imminente avec le président de la Biélorussie, ce bon vieux Loukachenko, élément clef pour obtenir sa milliardairité. À quelque part – j’ai eu beau le questionner, point de réponses satisfaisantes – il l’aurait aidé à se “refaire”. Michel reviendrait au Québec afin de sauver son peuple.

“J’m’en câlisse.”

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J’ai pas apprécié notre discussion… son monologue… Particulièrement quand il m’a parlé d’un auteur avec qui j’ai déjà travaillé. Il venait de me dire, entre deux phrases non connectées, qu’il voulait tuer du monde aussi légèrement que lorsqu’on parle de désirs de plages pour l’été.

“D’après toi, combien de coups de poings ça prend pour tuer un homme?”

“Euh. Ça dépend du bras de celui qui frappe? Et à qui il appartient…”

Silence. Évaluation. Il m’a dit que ça lui en prendrait qu’un. 

“Ou deux… max trois.”

Silence de mon bord, j’évaluais son sérieux.

Des choses lourdes mais si légèrement dites. Tellement léger que j’ai voulu savoir s’il en tirerait plaisir, savoir à quel point il y avait pensé. Est-ce un véritable désir ou une bien mauvaise plaisanterie provenant d’un esprit délirant?

“Trois… ce serait si tu veux prendre ton temps et en tirer du plaisir…non?”

“Non, je veux pas en tirer plaisir, j’veux juste qu’il soit mort.”

Il parlait de notre “ennemi” commun. Il croyait à une connivence. Il n’y en avait pas.

“J’m’en câlisse.”

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“Es-tu catholique?”

“Euh… Je me définirais plus comme un faëriste, dans la famille de l’athéisme, mais en plus coloré.”

Silence au bout de la ligne. Pas habitué de se faire répondre sensément quelque chose d’aussi insensé.

“Moi c’est Phallique ma religion. Ma religion c’est de fourrer autant que j’veux…”

Calvaire… 

Cet appel fut un calvaire.

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Et il a fini cette logorrhée avec son cordial “Tu vas voir, je vais en tuer plein de monde”.

Il s’en câlisse.

Mais moi, est-ce que je m’en câlisse? 

J’aime les fous, à un certain degré. Ils sont fascinants et désespérants à la fois. Je les préfère à 2 deux mètres, souvent plus, pour une distanciation mentale adéquate. Avec le Brûlé, je suis servi. Il est la preuve vivante qu’on peut se hisser dans les hautes sphères de la société, malgré une empathie atrophiée et une déconnexion évidente avec la Réalité. 

Jusqu’où sa déchéance va le mener?

 

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1er juin 2021

Dans un fossé brésilien, vélo par-dessus tête…

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Suite au texte du 28 mai 2020, je me suis demandé quoi faire avec ces informations troublantes.

Que faire de ses propos alors qu’il se trouvait potentiellement à des milliers de kilomètres d’ici… et de l’auteur visé? Devais-je le dénoncer à la police? En aviser le principal concerné?  Avait-il seulement le droit d’être à l’extérieur du pays pendant qu’il était cité à procès?

Il semblerait que oui. J’ai tâté le terrain en suivant le filon de la famille. J’ai appelé un membre de sa fratrie pour vérifier où il se trouvait au moment de l’appel. Oui, il était bien dans cette partie slave du monde qu’il affectionnait tant. Interpol était même au courant de ses faits et gestes. 

Il en va de même pour son périple brésilien. En même temps, s’il pouvait se le permettre, il fut bien avisé de vivre sa sentence populaire loin de “son” peuple. C’est éthiquement frustrant, au regard des torts qu’il a commis, mais c’était légal. Bien joué de sa part, quoique pas nécessairement heureux aux vues de ce qui s’est passé en Biélorussie ou sa COVID brésilienne. Il se sauvait de la justice, de la hargne semée sur son passage, mais son karma l’a suivi, peu importe où il allait.

Cette brève enquête m’a permis de comprendre le désarroi de ses proches face à son parcours atypique, voire erratique. 

La santé mentale n’avorte pas les destinées singulières.

Elle marche de pair avec les insoumis, les chevaucheurs d’éclair. Car c’en était un. Un électron libre qui se voyait comme un sauveur, un intouchable. Peut-être l’était-il vraiment: personne ne voulait l’toucher! Même la loi n’a pas eu d’emprise sur lui.

En bout de ligne, tout le monde a quitté son navire qu’il a rendu invivable.

Il y aurait bien encore à dire. Tant d’histoires rocambolesques! Majoritairement peu reluisantes.  Je réalise que j’en connais plus sur lui que je l’aurais cru. Peut-être m’y attarderai-je davantage éventuellement. Ou je garderai ces histoires pour les soirées de brosse qu’il affectionnait tant.

 

Buzdarov moydruk!